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  • : le blog maroch par : Marie-Agnès Roch
  • : Poésie, peinture, art et littérature
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  • Marie-Agnès Roch
  • Membre du Groupement des Ecrivains Médecins ; Sociétaire de la Société des Poètes Français ; Secrétaire des Editions l’Ours Blanc,  membre de la Société d’Etudes Céliniennes, Présidente des Editions l'Homme Bleu
  • Membre du Groupement des Ecrivains Médecins ; Sociétaire de la Société des Poètes Français ; Secrétaire des Editions l’Ours Blanc, membre de la Société d’Etudes Céliniennes, Présidente des Editions l'Homme Bleu

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12 avril 2015 7 12 /04 /avril /2015 13:19

L’avion sur la piste ronflait de tous ses moteurs. J’ai pris place derrière mon hublot avec l’impatience des touristes. Pendant le voyage, dans la carlingue ça sentait les épices; on servait du poisson. Devant, derrière, on parlait arabe. J’ai lu Bernanos, un livre pris à la hâte, «Journal d’un curé de campagne »… Du conformisme vertueux ; il est à l’aise dans son monologue avec Dieu… pas d’émotion dans la vertu ! Trois heures de voyage avec un curé, ses ouailles et les grands sentiments. Quand le commandant de bord, en anglais et en arabe, annonça l’atterrissage, j’ai fermé définitivement ce livre. Par le hublot, on voyait l’océan et la blancheur de la ville, Tanger. A l’arrivée sur le tarmac il n’y avait que l’avion de Paris et plus tard dans l’aéroport deux files d’attente… contrôle des papiers. A mon tour, le policier me prit mon passeport, jeta un œil sur mon visage et tamponna, tamponna encore…  L’aéroport s’était vidé peu à peu des voyageurs, restaient les balayeurs et autres nettoyeurs. C’est impressionnant le désert d’un aéroport. Comme si le monde entier était ailleurs… L’homme qui me donna les clefs de la voiture de location était un homme pressé. Assise derrière le volant après ses courtes explications, je pensai soudain que je n’avais pas eu le temps de lui demander où se trouvait la roue de secours. Pourtant, je connaissais les routes du Maroc… Trente kilomètres séparent l’aéroport du centre de Tanger. Il me les fallut bien pour m’habituer à l’irrespect du code de la route. Lignes blanches, passages protégés, feux tricolores, priorités, chacun avait son interprétation. Il ne s’agissait donc pas de deviner ce qu’allait penser l’autre, il s’agissait de regarder devant soi et d’oublier les penseurs de derrière.

L’hôtel était sur l’avenue Mohamed VI, la grande promenade au bord de l’océan. Les plus belles avenues des villes du Maroc portent le nom du roi. C’était donc la plus belle. Une avenue comme la Croisette ou la Promenades des Anglais, en moins peignée, moins tirée à quatre épingles. L’hôtel était à l’européenne, loin de la Médina, loin du port de pêche. Du balcon on voyait toute la baie de Tanger. Il allait falloir marcher pour rejoindre le centre de la ville. La chambre était d’un luxe d’apparence. Pas de commode estampillée, pas même un meuble de facture locale… du placage reproduit à l’identique partout. Mais la vue sur la baie éclipsait toute cette vulgarité.

Le lendemain s’est ouvert sur la pluie. Il pleuvait au Maroc !... Comment l’aurais-je imaginé ? Pays des chameaux, des ocres et des bleus, des palmiers, des déserts… Toutes ces images se sont déchirées en ouvrant les rideaux. Mais Tanger est au Nord dans les courants contraires de l’Atlantique et de la Méditerranée. J’aurais dû m’en douter. Il pleuvait aussi en janvier 1912, lors du premier séjour de Matisse. Pendant quinze jours il est resté dans sa chambre de l’hôtel Villa de France. « Qu’allons-nous devenir ? (…) impossible de sortir de notre chambre. » écrit-il à Gertrude Stein. Mais le soleil est revenu et il est sorti dans la ville pour peindre sur le motif dans « l’indicible douceur du quand ça vient tout seul ».

Depuis longtemps je rêvais de Tanger, cette ville au passé multiple fréquentée par la pègre comme par les artistes.  On l’a dit fugitive, insaisissable, perpétuellement mouvante. Par les livres je la savais belle, fragile, impétueuse, décatie, fière et mystérieuse. La ville des paradoxes qui se plait à désorienter le voyageur en quête d’itinéraire balisé. La ville des écrivains qui pouvait être paradisiaque ou infernale comme pour les « clochards célestes » ou la Beat Generation qui carburaient à l’alcool, au sexe, au kif et au mââjoun ou Jean Genet qui aimait Tanger du temps de la ville internationale, quand il y avait de vrais brigands, des espions, des travelos, des bars à folles. Je voulais aussi voir le Tanger de Mohamed Choukri, ce rifain autodidacte qui n’a su lire et écrire qu’à vingt ans, découvert par Paul Bowles puis devenu célèbre par son « Pain nu » traduit par Tahar Ben Jelloun. Pourquoi tous, peintres et écrivains, sont-ils venus et revenus, parfois restés dans cette ville chercher et trouver l’inspiration ?  J’ai donc voulu m’y perdre…

Après avoir longé la promenade du bord de mer, face au vieux port, on entre dans la Medina par une porte et subitement c’est l’intimité. Il y a la vie, la vie des gens, les cris des enfants. Les ruelles sont étroites, pentues et la pluie y déverse de drôles de mélanges ; des odeurs de poissons, de fruits murs plus que murs, de légumes inconnus et d’épices en tout genre. Ravagées par l’humidité, les maisons sont repeintes et sans doute chaulées régulièrement, des ocres, des rouges, des bleus, des couleurs vives ; on est dans du vif mêlé de douceur et de délicatesse. Le moindre espace accueille des fleurs, de la vigne vierge, des hibiscus, mais aussi des épiciers comme dans des placards qui vendent des chips, des conserves et même des radios, le four à pain lui aussi dans son placard ; au milieu des petites places toujours une fontaine, une fontaine publique où on vient encore laver son linge comme on vient faire cuire son pain dans le four lui aussi public. Les gens vivent ensemble dans ces lieux partagés. La Kasbah est un labyrinthe serré, il faut monter sur les terrasses pour découvrir la lumière de Tanger. La Kasbah domine Tanger, le détroit, la baie peinte par Matisse. Plus on monte dans les maisons plus on voit la matière même de la ville. On y découvre le mélange architectural ; dans un même coup d’œil on verra une église catholique, une mosquée, une église anglicane… c’est une ville de contrastes où se reflètent modernité et archaïsme, se rencontrent les grands travaux portuaires, les grandes usines automobiles et les palais princiers et les grandes résidences de la fin du dix-neuvième siècle. On voit tout cela du haut des terrasses.

Dans la ville comme dans la Medina ou dans la Kasbah, on croise des marocains, on parle le berbère, l’arabe mais aussi l’espagnol, le castillan et le français. C’est un mélange de langues et de culture à tous les coins de rues. On ressent fortement l’influence espagnole, française ou portugaise. Tanger, ville à la porte du Maroc, entre Atlantique et Méditerranée… depuis plus de deux mille ans que les tangérois regardent passer les bateaux, ils ont vu débarquer les phéniciens, les français, les anglais, les espagnols… et puis l’indépendance a fait partir les étrangers. Tanger s’est figée dans son passé. Les étrangers ont laissé aussi leur trace sur les murs, les portes et les toits des maisons.  La grande mosquée qui fut tour à tour temple romain, puis mosquée puis église puis à nouveau mosquée en est un témoignage. En haut de la Medina, depuis la terrasse de l’ancien café « Al Mountanzah », aujourd’hui « les passagers de Tanger », on domine la place du Grand Socco qui était à l’origine une place marchande, entourée de boutiques, connue par le texte que Joseph Kessel lui a consacré. C’est la zone de rencontre des Tangérois de la Médina et de la ville internationale. Il y a dans le désordre, une fontaine, une mosquée, le cinéma Rif devenu la cinémathèque, la Mandoubia, ancienne demeure du gouverneur représentant l’autorité marocaine, la légation allemande, l’ancienne poste anglaise où Paul Bowles venait chercher son courrier, la chapelle Saint Andrew, le clocher d’une cathédrale espagnole… Lieu historique car c’est là que le roi Mohamed V  a prononcé son premier discours demandant l’indépendance de son pays en 1947.

Plus loin, en dehors de la Medina, au-delà de la place du Grand Socco, le célèbre et austère café Hafa, construit sur d’étroites terrasses surplombant la mer, vous sert un thé à la menthe accompagné de cacahuètes grillées. Les tables et les chaises en fer à la peinture écaillées ou en plastique de supermarché ont résisté à la folie de l’argent. Ce lieu au mobilier vétuste semble habité par les vivants et les morts, par ceux qui y sont assis comme par ceux qui s’y sont assis. Pour ceux qui préfèrent les sièges en cuir et les nappes de velours, au grand café de Paris sur la place de France, reste encore peut-être l’odeur des cigares Panter de Jean Genet.

Il ne faut pas manquer la librairie des Colonnes sur le boulevard Pasteur, fondée en 1949 par la famille Gerofi, lieu de rencontre et de savoir des écrivains de l’époque.  Elle fut fréquentée par les grands noms de la littérature comme Jean Genet, Samuel Beckett, Tennessee William, Truman Capot, Paul Morand… Gallimard s’en servait de comptoir, Paul Bowles de boite aux lettres, Mohamed Choukri de salle de lecture et les visiteurs de passage d’un refuge de l’esprit. Mais au début du siècle, la librairie partant à l’abandon, Pierre Bergé, Tangérois de cœur lui a redonné ses lettres de noblesse. Aujourd’hui, la librairie généraliste à vocation méditerranéenne, est par la nature de son fonds en plusieurs langues aussi une porte ouverte sur la littérature et le monde.   

Tanger est une ville secrète avec un rythme à l’espagnol. La vie ne s’arrête jamais. Même la nuit elle dort d’un œil. Mais il faut être initié pour découvrir la vie nocturne de Tanger. Je n’en ai pas vu grand-chose. La nuit tangéroise est cachée, elle cache son exubérance. C’est une ville de passion, une ville excessive où les familles déambulent le soir sur la grande promenade le long de la mer, sur la corniche, les balnéaires. Ils  côtoient les boites branchées où la musique est autant techno que marocaine. Mais  c’est aussi la ville de tous les dangers qui accentuent les failles. La prostitution y est partout cachée, rien d’apparent.

Tanger est une ville de passage. On passe à Tanger car c’est une ville qui met la vie entre parenthèses. On y vient pour créer… où se détruire. Il y a le pire et le meilleur. C’est une ville d’artistes… c’est une ville d’évasion pour les marocains qui viennent y chercher une forme de liberté, cette tradition tangéroise héritée de son histoire cosmopolite. Elle a retrouvé une existence grâce à la volonté royale après avoir été longtemps abandonnée par le gouvernement après l’indépendance. Elle semble retrouver sa place de grande cité.

Plus tard, quand j’ai quitté Tanger, le soleil s’était relevé en même temps que le vent.  J’ai emmené avec moi un sentiment d’inassouvi et l’envie de revenir. J’ai pris la route pour Tétouan, la route qui longe la mer jusqu’au nouveau port, le Port Méditerranée. Au loin on apercevait l’Europe et son rocher. Les lieux étaient déserts et silencieux, enveloppés des rafales du vent, on était dimanche. Tout semblait en sommeil, grues et containers. Seuls quelques hommes peut-être en quête de paradis, marchaient en bord de route, venus de nulle part, allant je ne sais où, sans bagages. Mais les hommes ne passent plus, seule la drogue passe…

 

Marie-Agnès Roch

 

(publié dans la revue Chemin de Traverse, association Ours Blanc, juin 2013)

 

 

 

 

 

 

 

 

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18 novembre 2007 7 18 /11 /novembre /2007 10:26
Arrêtons-nous ici, sous l’arbre à confidences,
Dont l’écorce est un livre ouvert aux jeunes gens.
Invitons le silence à l’ombre du feuillage
Pendant qu’au loin la pie divulgue notre audace.

L’audace d’entrevoir un jour, une heure, une vie,
Le bonheur au pluriel mis au ban de l’enfance.
L’audace d’espérer survivre au châtaignier
Qui se targue à l’instant, d’abriter nos amours.

L’audace enfin de croire à l’unique mémoire,
Qui sera le berceau de nos enfants d’alors.
La pie aura péri, le châtaignier peut-être,
Et nous serons encore au bras de nos aurores.

Texte publié dans "L'Agora"
Revue de la Socièté des Poètes Français
n° 38, janvier-février-mars 2007
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15 juillet 2007 7 15 /07 /juillet /2007 17:25
Ils ont le teint blafard, ils ont l’orbite creuse
Où vit un œil tombé dans l’envers du décor.
Ils ont le ventre sourd au cri de la fortune
Et le sourire ému qui flirte avec les rêves.

Ils ont le cœur qui bat au fil tendu des mots
Et d’une plume tendre, ils font un messager
Portant haut la douleur jusqu’à l’inaccessible,
Idéal partagé qui meurt en bas de page…

Ils errent dans leur vie hantée par le silence,
Parfum des solitaires à la verve bouillante
Qui fait de leurs amours la poésie des autres
Dans un monde de prose aux passions délétères…

Ils sont sages et fous, agitateurs du temps
Qui coule entre leurs doigts en embrassant la rime
Et qui parfois s’arrête au hasard d’hémistiches
Comme on retient son souffle face à l’éternité.

Marie-Agnès Roch
Texte publié dans « L’heure Injuste », recueil collectif, Editions La passe du vent, février 2005
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14 juillet 2007 6 14 /07 /juillet /2007 17:40
Deux verres vides sur la table,
La porte de la chambre,
Entrouverte.
Le soleil
Nous a vus
A travers le carreau.
Mais la nuit
Le condamne
Au silence.
Et demain,
Nous serons
Déjà loin,
La porte de la chambre
Refermée
Et les verres sur la table,
Rangés.
Personne,
Non personne
Ne croira
Le soleil
Qui dira
Qu’il a vu
A travers le carreau,
La porte de la chambre,
Entrouverte,
Deux verres vides sur une table.

Marie-Agnès Roch
Texte publié dans « Trait d’union » poésies, Editions l’Ours Blanc, mars 2002
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1 juillet 2007 7 01 /07 /juillet /2007 13:53
J'ai beaucoup voyagé, assise dans mon fauteuil, au travers de ces gens qui venaient déposer sur le bord du bureau, des morceaux de leur vie. Quelques gouttes de pluie ramenées de la mer, des tranches de soleil dans un regard d'enfant, et le froid de l'hiver dans les cheveux des vieilles. J'ai vu passer le temps que j'ai cru oublier.

J'ai connu la souffrance, assise dans mon fauteuil, mais j'avais mis des gants avant de l'effleurer. Elle ne m'a pas blessée mais elle m'a dérangée. Aussi ai-je dû construire des maisons de papier, pour cacher la douleur et taire les regards. J'ai repeint les volets comme pour m'éblouir et j'ai donné du vent pour un souffle d'espoir, en refermant la porte, pour protéger mon âme.

J'ai enlevé des masques, assise dans mon fauteuil, et j'ai gardé le mien et ses larmes de bois. Mon visage recouvert ainsi n'a pu trahir, qu'il avait un sourire malgré tant de misères.
Je n'ai rien de l'humain, je suis comme les statues au fond des cathédrales, qui forcent à la prière sans jamais y répondre.

Comment pouvais-je penser, assise dans mon fauteuil, qu'on attendait de moi une simple parole? Qu'elle était l'importance de ces mots que l'on dit, parfois sans même y croire mais qui vous apprivoisent ?

J'ai rencontré la mort qui n'était pas la mienne, assise dans mon fauteuil. Malgré tous mes discours, elle s'est montrée fidèle au premier rendez-vous. Elle avait pris ma place, elle tenait dans ses mains toutes mes vanités. J'ai voulu négocier ma bonne volonté, mais elle s'est mise à rire de cette inanité.

J'ai posé mon crayon, j'ai retiré mon masque et puis j'ai tout rangé, les quelques gouttes de pluie, les tranches de soleil, et les cheveux neigeux. J'ai refermé la porte de mon placard à vies, en gardant les morceaux posés sur mon bureau, pour m'en faire un habit.

En bas sur le trottoir, j'ai croisé tous ces gens que j'avais dénudés, souvent à leur insu. Ils ne m'ont pas connue, à visage découvert dans ma nouvelle parure. Pourtant j'avais sur moi un peu de leur souffrance, un peu de leur misère et des larmes amères.
Un jour je reviendrai m'asseoir dans mon fauteuil, pour un dernier voyage...

Marie-Agnès Roch

Texte publié dans « La Mort », recueil collectif de poèmes et nouvelles, Editions L’Ours Blanc (Paris), 130 pages, 11 euros, juillet 2002
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28 juin 2007 4 28 /06 /juin /2007 17:30
Ballade du généraliste (La)
Un médecin au XX° siècle
Jacques FRANCK
Editions l'Harmattan
Collection : biographie, autobiographie, témoignage, récit santé, médecine
180 pages. 16 euros. mai 2006



Dans son livre « la ballade du généraliste », le docteur Jacques Franck, médecin généraliste du vingtième siècle, emmène le lecteur à la découverte de son art : la médecine de famille. Et quand le lecteur que je suis, est lui-même un médecin généraliste du vingt et unième siècle, son récit prend l’allure d’une page d’histoire avec son lot de nostalgie. Nostalgie d’un passé récent avant l’ère du « doctissimo.com » et avant l’instauration des bonnes pratiques médicales associées au souci d’économie qui certes auront l’avantage de rassurer les patients par l’uniformité de l’exercice mais qui l’auront peut-être un peu dépersonnalisé. Nostalgie d’une époque où le pivot du système de santé était tout naturellement le médecin de famille sans abonnement préalable.
Je m’immerge agréablement dans ces pages comme dans mes jeunes années quand mes vieux confrères me berçaient par leurs histoires de chasse et me donnaient l’envie et la fierté d’assurer leur continuité. C’est avec humour, humeur parfois et avec franchise que Jacques Franck nous parle de son métier, de sa vie tout simplement, car les patients ne nous quittent jamais vraiment même quand la porte du cabinet est fermée. Les petits riens de tous les jours côtoient sans peur les grandes valeurs. Du choix de son médecin qu’on ne fait pas sur une rumeur ou sur les dires de sa concierge, en passant par l’ordonnance qui ponctue l’acte intellectuel et la présumée fortune de la profession, ces petits riens sont écrits et décrits avec un mélange de passion, de tact et de décontraction. Le bonheur est toujours entre les lignes même quand il évoque ses rapports avec la mort de ses patients, cette mort qu’il n’attend pas toujours au bon moment ou qu’il souhaite la meilleure possible ou qu’il pourrait donner à la demande. Il en parle aisément puisqu’il la connaît bien pour l’avoir si souvent vu venir à la rencontre de ces gens qu’il n’a pas pu sauver.
L’humour est au rendez-vous dans le chapitre « sexe » où l’offre peut flirter avec la tentation, où le médecin peut être acteur, observateur, témoin et chroniqueur. Et pour l’heure il est chroniqueur se limitant à conter les frasques de quelque patiente à priori vertueuse ou quelque confrère grisé par un certain pouvoir.
Jacques Franck défend la cause des femmes quand il rappelle à juste titre leur combat pour une vie choisie. Il a été de ceux qui ont connu l’époque des avortements clandestins qui se terminaient mal la plupart du temps. Il s’est penché sur ces femmes agonisantes pour lesquelles la médecine ne devenait alors qu’un pis-aller. Il évoque aussi l’évolution des mentalités qui prenaient du retard sur les progrès scientifiques, la pilule contraceptive étant porteuse à ses débuts de beaucoup de méfiance. Le chemin fut long et difficile pour arriver jusqu’à nos jours où la pilule est devenue à l’évidence de prescription quasi systématique.
Je laisse au lecteur le soin de découvrir le médecin généraliste dans ses activités mondaines, son implication politique parfois et dans ses relations avec les laboratoires pharmaceutiques, sujet souvent soumis à discussion. Là aussi beaucoup de franchise caractérise ses dires.
Pour prolonger la ballade, Jacques Franck nous emmène ailleurs. Il nous plonge dans l’univers de la médecine soviétique au service du public, avec peu de moyens mais avec des hommes et des femmes de bonne volonté, faisant tout leur possible humainement pour parer à la défaillance des techniques. Puis nous changeons de continent pour aller visiter les Etats-Unis avec leur médecine libérale de haut niveau scientifique, moins humaine sans doute et chère car assujettie à l’économie de marché.
La fin du livre est aussi la fin du médecin. Au travers d’exemples successifs et différents de mises à la retraite, Jacques Franck montre les difficultés que le médecin rencontre en quittant ses patients dont il se sent éternellement responsable. Il exprime l’impression de vide, l’impression d’être dévalorisé. La perte du rôle social, le fait de ne plus être indispensable, le téléphone qui ne sonne plus, l’absence des rendez-vous, la disparition du caducée sur le pare-brise de sa voiture… tout cela le plonge d’abord dans une grande nostalgie. Puis le temps faisant son œuvre, cette nostalgie s’estompe et l’ex-praticien se forge une autre personnalité qui n’est plus tout à fait la même ni tout à fait une autre. La mutation est difficile.
Dans un style aux accents de l’authentique, cette ballade a le sens d’un témoignage nécessaire sur une médecine maîtrisée par les médecins. Ceux-ci trouveront ici, par la voix de Jacques Franck, un excellent avocat. La médecine sera toujours ce qu’en feront les médecins.
Marie-Agnès Roch     (01/2007)
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3 février 2007 6 03 /02 /février /2007 17:25

                                              Bernard et Marie-Agnès
                Les parapluies d'Aurillac
                                                  
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22 janvier 2007 1 22 /01 /janvier /2007 16:37
Une fugue à deux voix

par Christian Vallery

Lire est question d’œil et question d'oreille. La poésie s'entend au moins autant qu'elle se lit, à voix haute ou intérieure, en scandant la phrase du pied, comme j'aime à le faire, au rythme de la marche. On peut compter les pieds comme on compte les pas, lire avec sa bouche, avec ses mains, ses bras, compter tout cela en nouvelles ou anciennes mesures -coudes, pouces, mètres- peu importe. Alors j'ai ouvert Les îles de l'oubli et j'ai écouté, marché, réécouté, debout, assis, jusqu'à ce qu'un mot s'impose en moi : fugue.

Sens premier de ce mot : indiscipline, refus de l'ordre établi, chemins buissonniers, qui ne cherche pas à être conforme, qui refuse la ressemblance. Le premier allait de pair avec l'autre sens, musical, sur le principe d'un motif, d'une suite de notes, qui connaît divers développements s'additionnant et se mêlant les uns aux autres.

Fugue. Parfois la poésie est comme un pur hasard. Un hasard parfois si pur qu'il ne peut être tout à fait un hasard. Fugue. Une fugue à deux voix. Un chant, parfois austère; un sentier caillouteux; une gueule un peu de travers... Il faut dire ici que pour écrire les auteurs ont choisi un exil singulier, celui qui consiste à se rapprocher non pour annuler sa propre solitude mais au contraire pour l'additionner à celle de l'autre. Alors il y a quelque chose de tremblant dans cette écriture, quelque chose qui vacille dans et entre les phrases. Ça ne cherche pas la lumière à tout prix, ça trébuche, ça se cherche, avec délicatesse, comme éclairé par derrière; ça sentirait plutôt la pluie, ou la buée sur les carreaux; ça bruisse et ça murmure; ça ne crie pas, ne clame pas, n'affirme pas, "incertains que nous sommes hors des nuits silencieuses"...

Je ne sais pas ce qu'est la poésie, mais je sais que cette phrase-là est poésie, car elle ne se contente pas de me toucher, elle m'atteint.  Des "îles de vent" - pourtant la chair les habite, une chair affamée, certes, démunie, solitaire, mais une chair ardente à défaut de certitudes - "pas même une transcendance, à peine une joie de vivre"-  une chair qui cherche, au-delà de l'oubli, à prendre vie.

 

 

 

Les mots, on s'en rend si souvent compte, sont à la fois le miracle et le désastre, le cru et le cuit, l'apogée et la noire misère. Où voulez-vous qu'ils frayent, les mots, sinon du côté de l'amour et de la chair ? Car - et si je fais là preuve d'indélicatesse, qu'ils me le pardonnent -  ces deux-là s'aiment, non ? Et derrière le poème, la phrase, la scansion, il y a le chant, chant tendre et aimant, pudique, troublant... On ne pourrait le dire mieux qu'eux : "un rien de tendresse assise au bord des choses".

 

 

Christian Vallery

Article publié dans :  revue de L'Ours Blanc, Chemins de Traverse, n°29, décembre 2006  /// revue en ligne Vendémiaire n°23, janvier 2007

 Les Îles de l'Oubli, B. Giusti & M.-A. Roch, Ed. Dossiers d'Aquitaine, 2006, 10 euros

 

 

 

 

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22 janvier 2007 1 22 /01 /janvier /2007 16:35

"Transformations des saisons et transformations du coeur : tout se lie à travers le langage. Mais les parolres ne sont là que pour mieux travestir la réalité et elles ne véhiculent qu'incompréhension et dialogue impossible. Pour Marie-Agnès Roch, l'essentiel est dans le silence qui sépare les mots et réunit les êtres, dans ce silence transfiguré où la poésie prend sa source, dans le silence des rêves où s'orchestre la grande symphonie de la vie. Et c'est bien là le second sens que l'on accordera à ce recueil : l'être se métamorphose à travers la poésie, et c'est par cette transmutation de la poésie que l'être sans cesse en mouvement, sans cesse changeant, finit par trouver sa permanence.

 

Il suffit de lire les premiers vers de Métamorphose pour être entraîné par la musique et la beauté des mots, et pour entrer dans l'univers de Marie-Agnès Roch. Alors commence le voyage vers l'ailleurs : Il ne faut pas grand chose pour s'en aller ailleurs / Un peu d'herbe du pré / L'oreiller de mes songes / Et un morceau de toi...

 Alors commence la découverte de ce monde fait d'ailleurs / Et de chemins de verre / Où les chats ont parfois / Le dos couvert d'étoiles...

 

Alors commence le voyage du poète dont les pas sur les trottoirs / Des villes endormies / Dessinent des légendes / Pour les passants de l'aube.

Alors seulement le temps viendra à se suspendre, dans l'espace d'un recueil." (extrait de la préface de B. Giusti)

 

 

 

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