Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : le blog maroch par : Marie-Agnès Roch
  • : Poésie, peinture, art et littérature
  • Contact

Profil

  • Marie-Agnès Roch
  • Membre du Groupement des Ecrivains Médecins ; Sociétaire de la Société des Poètes Français ; Secrétaire des Editions l’Ours Blanc,  membre de la Société d’Etudes Céliniennes, Présidente des Editions l'Homme Bleu
  • Membre du Groupement des Ecrivains Médecins ; Sociétaire de la Société des Poètes Français ; Secrétaire des Editions l’Ours Blanc, membre de la Société d’Etudes Céliniennes, Présidente des Editions l'Homme Bleu

Recherche

Archives

13 décembre 2008 6 13 /12 /décembre /2008 21:28

Conférence organisée par l'ALFOM, salle Vaugirard, vendredi 12 décembre 2008
(intervention de Bernard Giusti)


Ainsi que nous l’a rappelé Marie-Agnès Roch, les tableaux que Jules-Emile Zingg peignit sur le front furent exposés en 1917 au Palais du Luxembourg, et nous voici ici aujourd’hui, 91 ans plus tard et à quelques pas du lieu de cette ancienne exposition, pour rendre hommage à ce grand peintre. Caprice de l’histoire peut-être, ou juste retour des choses puisque ce peintre, si exigeant envers lui-même et si peu soucieux de l’opinion des salons, s’il est connu des amateurs d’art, des professionnels et des musées, ne l’est pratiquement pas du grand public.

 

La démarche que Marie-Agnès et moi-même avons adoptée pour écrire les textes accompagnant les œuvres du peintre a délibérément laissé de côté le poème descriptif, qui n’aurait eu que peu d’intérêt, tant pour le lecteur que pour nous. Nos deux premiers textes, qui s’intitulent tous les deux « A Jules-Emile Zing », sous forme d’hommage donc, mettent assez bien l’accent sur ce qui nous a touchés, émus, et parfois troublés dans notre rencontre avec les œuvres de Jules-Emile Zingg : l’extraordinaire force évocatrice du trait et des couleurs, la profondeur humaine qui se dégage de ces scènes où le plus souvent les personnages en plein labeur restent dominés par une nature qu’ils s’échinent à maîtriser (mais on voit bien que plus que de la nature, c’est de leur propre vie qu’il est question), en même temps que la parfaite adéquation de l’être humain et des choses.

Car ce qui surprend chez Zingg, c’est qu’il n’y a jamais dans ses sujets rien de surprenant. A une époque où beaucoup de peintres ont choisi d’intégrer dans leurs toiles des éléments extérieurs au sujet principal, des éléments incongrus ou provocateurs souvent, afin de mettre en évidence toute la relativité de notre perception de la réalité et nous amener à découvrir d’autres dimensions de cette réalité, Jules Emile Zingg, lui, s’en est tenu à dépeindre le quotidien et le familier sans jamais déroger à la véracité. Et pourtant, sans ajouts ni artifices, Zingg réussit le tour de force de nous amener à voir au-delà de ses toiles, ou plus exactement nous amène à percevoir les dimensions multiples qui accompagnent et transcendent le quotidien. C’est dire qu’avec Jules Emile Zingg, nous touchons sans cesse à ce qui constitue le fondement même et le cœur de toute démarche artistique.

Le poète Yves Bonnefoy, dans son ouvrage L’arrière-pays, nous parle de cet « ailleurs » qui est le ressort et la source de l’art en général, et de la poésie en particulier, cet « ailleurs » qui se constitue de tous les chemins que nous n’avons pas pris, de tous ces chemins que nous avons laissés derrière nous et dont le souvenir nous accompagne toute notre vie. Nous ne saurons jamais où auraient pu nous mener ces chemins. Mais ce qui importe, ce n’est pas de savoir où nous aurions pu aller, mais de l’imaginer. Avec les tableaux de Jules Emile Zingg, c’est entre autres ces voyages imaginaires sans cesse recommencés que nous effectuons, ces voyages que l’on peut multiplier en regardant une même toile et qui prennent chaque fois la coloration de l’instant.

Si j’ai choisi à dessein de citer Yves Bonnefoy, c’est que sa définition de « l’ailleurs » est une définition dynamique. Et c’est là une des autres dimension des œuvres de Jules Emile Zingg : le mouvement. Tour de force encore du peintre qui, avec des traits de pinceau qui pourraient apparaître à un regard superficiel comme grossiers et pesants, a su si bien rendre la force et le mouvement. Rien n’est jamais statique dans les tableaux de Zingg, ni les hommes ni les bêtes, ni les champs ni les cieux, pas même les montagnes.

Mais dynamisme aussi de l’histoire. Marie-Agnès Roch et moi-même avons choisi les œuvres qui traitaient de la ruralité, des hommes et de la terre, notamment, comme l’a rappelé Marie-Agnès, parce que Zingg fut l’un des derniers grands témoins de la disparition de tout un mode de vie. Depuis des millénaires, depuis ce que l’on a appelé la révolution néolithique, les sociétés humaines se sont organisées sur le mode d’une économie basée sur l’agriculture. Le 19e siècle a vu l’émergence, puis le triomphe au 20e siècle, d’une lente évolution de l’humanité qui a aboutit à la révolution industrielle, révolution qui a en grande partie finit par industrialiser l’agriculture elle-même. Et évidemment, au passage, c’est tout un mode de vie et un système de valeurs qui a été profondément transformé, jusqu’à même disparaître dans nombre de ses aspects. Zingg a donc été le témoin de cette transformation et de ces disparitions dans notre pays, ce qui confère aussi à ses tableaux une valeur de témoignage.

Pour autant, ni Marie-Agnès Roch ni moi-même n’avons été motivés dans nos écrits par une quelconque nostalgie. Ici, la rencontre entre la peinture et la poésie s’est faite autour de ce « temps vertical » dont nous parle Gaston Bachelard (La poétique, la rêverie), temps qu’il assigne de façon privilégiée à la poésie. Le temps vertical, ce n’est pas seulement l’ordonnancement des mots sur la page selon une configuration verticale, c’est aussi cette continuité de l’histoire. Nous devons nous souvenir que ce que nous pouvons percevoir comme une rupture dans la continuité historique, ce n’est jamais qu’une autre façon pour l’histoire de se poursuivre.

C’est dire qu’il ne s’agissait pas pour nous de nous pencher avec nostalgie sur les évocations picturales de Jules Emile Zingg, sur ce que d’aucuns appelleraient « le bon vieux temps », mais de retrouver et rappeler ce qui fait partie de nos racines les plus profondes. Il serait vain de croire que cette histoire rurale millénaire a définitivement pris fin il y a quelques décennies avec l’avènement de ce qu’on pourrait appeler la modernité – terme qui, pour peu que l’on s’y penche, recouvre un concept très flou. On peut le croire, évidemment, mais dans ce cas le prix à payer est la réduction de notre champ de conscience, c’est-à-dire la réduction du regard que nous portons sur le monde et sur notre propre vie.

La continuité historique à travers les œuvres de Zingg, c’est aussi – et peut-être surtout – la continuité des rapports profonds entre l’homme et la nature, et au-delà des rapports profonds entre les hommes.

Pas de nostalgie donc, mais le souvenir d’une histoire toujours présente, comme le socle invisible de notre propre époque.

 

Le lien privilégié que je viens d’évoquer entre la peinture de Jules Emile Zingg et l’histoire, je voudrais maintenant le compléter par le lien privilégié entre la poésie et l’histoire. Et si l’on y regarde de plus près on s’apercevra que ce lien, en fin de compte, est le même. De même que les destins historiques réciproques de la ruralité et de la poésie, qui sous cet angle sont intimement liés. Il y a eu en effet dans nos sociétés un déclin du rôle social de la poésie dans le même temps où le rôle de la paysannerie s’est considérablement amenuisé. Je voudrais donc vous citer ce court passage d’un de mes essais, Le Fil d’Ariane :

 

« Compagne attentive des premiers pas de l’humanité, la poésie est née des sociétés orales, et bien après que les hommes aient songé à représenter les sons qu’ils échangeaient, elle a gardé son statut d’art oratoire et son emprise sur leurs destinées. Les peuples anciens de la tradition celtique ne prêtaient-ils pas aux paroles des bardes le pouvoir de détruire des royaumes entiers ?

Peut-être la poésie est-elle née de la solitude fondamentale de l’être humain, de la rencontre entre l’impérieuse exigence de communiquer ce que nous avons de plus précieux en nous et l’impossibilité d’exprimer le cœur et le joyau de notre être, de partager l’ultime « ailleurs » au-delà duquel règne le silence.

La poésie se nourrit de cette distance intime et déploie un discours toujours en décalage par rapport à la réalité. Elle se nourrit de notre irréductible solitude, si bien évoquée par André Bonnard, dans une superbe phrase où il désigne tout à la fois ce qui fonde le poète et ce qui l’emprisonne : « … la solitude, école et piège des âmes éprises d’absolu ».

 

Jean Maffioletti a écrit qu’une des dimensions de la poésie est de « rendre palpable, capable d’écrire certaines interactions complexes du temps, de l’espace et de la mémoire, qui se croisent sans cesse et d’ordinaire ne se parlent pas. »

Jules Emile Zingg a su par ses tableaux, par ses traits et ses couleurs, et par son amour immense de l’art, de la nature et des hommes, nous rendre évidentes toutes ces interactions complexes.

Marie-Agnès Roch et moi-même avons tenté l’aventure. Ce n’est pas à nous de dire si nous y avons réussi. Mais je conclurai par cette citation du Fil d’Ariane :

 

« En cette époque où s’ouvre un millénaire, il semblerait que la voix des poètes se soit considérablement amenuisée, étouffée par les exigences d’un utilitarisme économique et scientifique qui n’admet le rêve que pour autant qu’il soit exploitable. Pourtant, telle la mauvaise herbe, la poésie persiste à surgir çà et là en des endroits que l’on croyait à jamais désertés. Elle ressurgit sans cesse au coin des rues bétonnées, au beau milieu des chemins désherbés, au cœur de ceux qui s’en croyaient à jamais éloignés. Elle ressurgit pour chasser les ténèbres qui peu à peu ont envahi nos ombres, et pour nous glisser à l’oreille les quelques mots de René-Guy Cadou : « Le temps que j’ai à vivre, que l’amour le prolonge. »

 
Bernard Giusti

Partager cet article
Repost0

commentaires