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  • : le blog maroch par : Marie-Agnès Roch
  • : Poésie, peinture, art et littérature
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  • Marie-Agnès Roch
  • Membre du Groupement des Ecrivains Médecins ; Sociétaire de la Société des Poètes Français ; Secrétaire des Editions l’Ours Blanc,  membre de la Société d’Etudes Céliniennes, Présidente des Editions l'Homme Bleu
  • Membre du Groupement des Ecrivains Médecins ; Sociétaire de la Société des Poètes Français ; Secrétaire des Editions l’Ours Blanc, membre de la Société d’Etudes Céliniennes, Présidente des Editions l'Homme Bleu

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12 avril 2015 7 12 /04 /avril /2015 13:19

L’avion sur la piste ronflait de tous ses moteurs. J’ai pris place derrière mon hublot avec l’impatience des touristes. Pendant le voyage, dans la carlingue ça sentait les épices; on servait du poisson. Devant, derrière, on parlait arabe. J’ai lu Bernanos, un livre pris à la hâte, «Journal d’un curé de campagne »… Du conformisme vertueux ; il est à l’aise dans son monologue avec Dieu… pas d’émotion dans la vertu ! Trois heures de voyage avec un curé, ses ouailles et les grands sentiments. Quand le commandant de bord, en anglais et en arabe, annonça l’atterrissage, j’ai fermé définitivement ce livre. Par le hublot, on voyait l’océan et la blancheur de la ville, Tanger. A l’arrivée sur le tarmac il n’y avait que l’avion de Paris et plus tard dans l’aéroport deux files d’attente… contrôle des papiers. A mon tour, le policier me prit mon passeport, jeta un œil sur mon visage et tamponna, tamponna encore…  L’aéroport s’était vidé peu à peu des voyageurs, restaient les balayeurs et autres nettoyeurs. C’est impressionnant le désert d’un aéroport. Comme si le monde entier était ailleurs… L’homme qui me donna les clefs de la voiture de location était un homme pressé. Assise derrière le volant après ses courtes explications, je pensai soudain que je n’avais pas eu le temps de lui demander où se trouvait la roue de secours. Pourtant, je connaissais les routes du Maroc… Trente kilomètres séparent l’aéroport du centre de Tanger. Il me les fallut bien pour m’habituer à l’irrespect du code de la route. Lignes blanches, passages protégés, feux tricolores, priorités, chacun avait son interprétation. Il ne s’agissait donc pas de deviner ce qu’allait penser l’autre, il s’agissait de regarder devant soi et d’oublier les penseurs de derrière.

L’hôtel était sur l’avenue Mohamed VI, la grande promenade au bord de l’océan. Les plus belles avenues des villes du Maroc portent le nom du roi. C’était donc la plus belle. Une avenue comme la Croisette ou la Promenades des Anglais, en moins peignée, moins tirée à quatre épingles. L’hôtel était à l’européenne, loin de la Médina, loin du port de pêche. Du balcon on voyait toute la baie de Tanger. Il allait falloir marcher pour rejoindre le centre de la ville. La chambre était d’un luxe d’apparence. Pas de commode estampillée, pas même un meuble de facture locale… du placage reproduit à l’identique partout. Mais la vue sur la baie éclipsait toute cette vulgarité.

Le lendemain s’est ouvert sur la pluie. Il pleuvait au Maroc !... Comment l’aurais-je imaginé ? Pays des chameaux, des ocres et des bleus, des palmiers, des déserts… Toutes ces images se sont déchirées en ouvrant les rideaux. Mais Tanger est au Nord dans les courants contraires de l’Atlantique et de la Méditerranée. J’aurais dû m’en douter. Il pleuvait aussi en janvier 1912, lors du premier séjour de Matisse. Pendant quinze jours il est resté dans sa chambre de l’hôtel Villa de France. « Qu’allons-nous devenir ? (…) impossible de sortir de notre chambre. » écrit-il à Gertrude Stein. Mais le soleil est revenu et il est sorti dans la ville pour peindre sur le motif dans « l’indicible douceur du quand ça vient tout seul ».

Depuis longtemps je rêvais de Tanger, cette ville au passé multiple fréquentée par la pègre comme par les artistes.  On l’a dit fugitive, insaisissable, perpétuellement mouvante. Par les livres je la savais belle, fragile, impétueuse, décatie, fière et mystérieuse. La ville des paradoxes qui se plait à désorienter le voyageur en quête d’itinéraire balisé. La ville des écrivains qui pouvait être paradisiaque ou infernale comme pour les « clochards célestes » ou la Beat Generation qui carburaient à l’alcool, au sexe, au kif et au mââjoun ou Jean Genet qui aimait Tanger du temps de la ville internationale, quand il y avait de vrais brigands, des espions, des travelos, des bars à folles. Je voulais aussi voir le Tanger de Mohamed Choukri, ce rifain autodidacte qui n’a su lire et écrire qu’à vingt ans, découvert par Paul Bowles puis devenu célèbre par son « Pain nu » traduit par Tahar Ben Jelloun. Pourquoi tous, peintres et écrivains, sont-ils venus et revenus, parfois restés dans cette ville chercher et trouver l’inspiration ?  J’ai donc voulu m’y perdre…

Après avoir longé la promenade du bord de mer, face au vieux port, on entre dans la Medina par une porte et subitement c’est l’intimité. Il y a la vie, la vie des gens, les cris des enfants. Les ruelles sont étroites, pentues et la pluie y déverse de drôles de mélanges ; des odeurs de poissons, de fruits murs plus que murs, de légumes inconnus et d’épices en tout genre. Ravagées par l’humidité, les maisons sont repeintes et sans doute chaulées régulièrement, des ocres, des rouges, des bleus, des couleurs vives ; on est dans du vif mêlé de douceur et de délicatesse. Le moindre espace accueille des fleurs, de la vigne vierge, des hibiscus, mais aussi des épiciers comme dans des placards qui vendent des chips, des conserves et même des radios, le four à pain lui aussi dans son placard ; au milieu des petites places toujours une fontaine, une fontaine publique où on vient encore laver son linge comme on vient faire cuire son pain dans le four lui aussi public. Les gens vivent ensemble dans ces lieux partagés. La Kasbah est un labyrinthe serré, il faut monter sur les terrasses pour découvrir la lumière de Tanger. La Kasbah domine Tanger, le détroit, la baie peinte par Matisse. Plus on monte dans les maisons plus on voit la matière même de la ville. On y découvre le mélange architectural ; dans un même coup d’œil on verra une église catholique, une mosquée, une église anglicane… c’est une ville de contrastes où se reflètent modernité et archaïsme, se rencontrent les grands travaux portuaires, les grandes usines automobiles et les palais princiers et les grandes résidences de la fin du dix-neuvième siècle. On voit tout cela du haut des terrasses.

Dans la ville comme dans la Medina ou dans la Kasbah, on croise des marocains, on parle le berbère, l’arabe mais aussi l’espagnol, le castillan et le français. C’est un mélange de langues et de culture à tous les coins de rues. On ressent fortement l’influence espagnole, française ou portugaise. Tanger, ville à la porte du Maroc, entre Atlantique et Méditerranée… depuis plus de deux mille ans que les tangérois regardent passer les bateaux, ils ont vu débarquer les phéniciens, les français, les anglais, les espagnols… et puis l’indépendance a fait partir les étrangers. Tanger s’est figée dans son passé. Les étrangers ont laissé aussi leur trace sur les murs, les portes et les toits des maisons.  La grande mosquée qui fut tour à tour temple romain, puis mosquée puis église puis à nouveau mosquée en est un témoignage. En haut de la Medina, depuis la terrasse de l’ancien café « Al Mountanzah », aujourd’hui « les passagers de Tanger », on domine la place du Grand Socco qui était à l’origine une place marchande, entourée de boutiques, connue par le texte que Joseph Kessel lui a consacré. C’est la zone de rencontre des Tangérois de la Médina et de la ville internationale. Il y a dans le désordre, une fontaine, une mosquée, le cinéma Rif devenu la cinémathèque, la Mandoubia, ancienne demeure du gouverneur représentant l’autorité marocaine, la légation allemande, l’ancienne poste anglaise où Paul Bowles venait chercher son courrier, la chapelle Saint Andrew, le clocher d’une cathédrale espagnole… Lieu historique car c’est là que le roi Mohamed V  a prononcé son premier discours demandant l’indépendance de son pays en 1947.

Plus loin, en dehors de la Medina, au-delà de la place du Grand Socco, le célèbre et austère café Hafa, construit sur d’étroites terrasses surplombant la mer, vous sert un thé à la menthe accompagné de cacahuètes grillées. Les tables et les chaises en fer à la peinture écaillées ou en plastique de supermarché ont résisté à la folie de l’argent. Ce lieu au mobilier vétuste semble habité par les vivants et les morts, par ceux qui y sont assis comme par ceux qui s’y sont assis. Pour ceux qui préfèrent les sièges en cuir et les nappes de velours, au grand café de Paris sur la place de France, reste encore peut-être l’odeur des cigares Panter de Jean Genet.

Il ne faut pas manquer la librairie des Colonnes sur le boulevard Pasteur, fondée en 1949 par la famille Gerofi, lieu de rencontre et de savoir des écrivains de l’époque.  Elle fut fréquentée par les grands noms de la littérature comme Jean Genet, Samuel Beckett, Tennessee William, Truman Capot, Paul Morand… Gallimard s’en servait de comptoir, Paul Bowles de boite aux lettres, Mohamed Choukri de salle de lecture et les visiteurs de passage d’un refuge de l’esprit. Mais au début du siècle, la librairie partant à l’abandon, Pierre Bergé, Tangérois de cœur lui a redonné ses lettres de noblesse. Aujourd’hui, la librairie généraliste à vocation méditerranéenne, est par la nature de son fonds en plusieurs langues aussi une porte ouverte sur la littérature et le monde.   

Tanger est une ville secrète avec un rythme à l’espagnol. La vie ne s’arrête jamais. Même la nuit elle dort d’un œil. Mais il faut être initié pour découvrir la vie nocturne de Tanger. Je n’en ai pas vu grand-chose. La nuit tangéroise est cachée, elle cache son exubérance. C’est une ville de passion, une ville excessive où les familles déambulent le soir sur la grande promenade le long de la mer, sur la corniche, les balnéaires. Ils  côtoient les boites branchées où la musique est autant techno que marocaine. Mais  c’est aussi la ville de tous les dangers qui accentuent les failles. La prostitution y est partout cachée, rien d’apparent.

Tanger est une ville de passage. On passe à Tanger car c’est une ville qui met la vie entre parenthèses. On y vient pour créer… où se détruire. Il y a le pire et le meilleur. C’est une ville d’artistes… c’est une ville d’évasion pour les marocains qui viennent y chercher une forme de liberté, cette tradition tangéroise héritée de son histoire cosmopolite. Elle a retrouvé une existence grâce à la volonté royale après avoir été longtemps abandonnée par le gouvernement après l’indépendance. Elle semble retrouver sa place de grande cité.

Plus tard, quand j’ai quitté Tanger, le soleil s’était relevé en même temps que le vent.  J’ai emmené avec moi un sentiment d’inassouvi et l’envie de revenir. J’ai pris la route pour Tétouan, la route qui longe la mer jusqu’au nouveau port, le Port Méditerranée. Au loin on apercevait l’Europe et son rocher. Les lieux étaient déserts et silencieux, enveloppés des rafales du vent, on était dimanche. Tout semblait en sommeil, grues et containers. Seuls quelques hommes peut-être en quête de paradis, marchaient en bord de route, venus de nulle part, allant je ne sais où, sans bagages. Mais les hommes ne passent plus, seule la drogue passe…

 

Marie-Agnès Roch

 

(publié dans la revue Chemin de Traverse, association Ours Blanc, juin 2013)

 

 

 

 

 

 

 

 

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